Makhtar Diop/Banque mondiale : l’impact de l’épidémie d’Ebola va encore se ressentir cette année

Certes, la chute du cours du pétrole va affecter les budgets des pays producteurs.

Mais, pour le vice-président Afrique de la Banque mondiale, cette situation est l’occasion de procéder à un meilleur ciblage des dépenses publiques et d’accorder plus de place au secteur privé.

Hélas oui, la croissance ralentira au sud du Sahara au cours de cette année 2015, prévient Makhtar Diop, 54 ans, vice-président Afrique de la Banque mondiale, dans cet entretien réalisé juste avant la publication par l’institution des dernières perspectives économiques régionales. Elle atteindrait 4,6 % au lieu des 5,2 % prévus en octobre 2014. La chute des cours des matières premières – au premier rang desquelles le pétrole -, l’épidémie d’Ebola qui martyrise trois pays d’Afrique de l’Ouest (Sierra Leone, Guinée et Liberia), le terrorisme au Sahel et de nombreuses élections sur le continent viendront compliquer les efforts financiers des gouvernements en faveur du développement.

Raison de plus pour engager de vigoureuses réformes, dit l’ancien ministre sénégalais de l’Économie et des Finances. Car il faut profiter du recul du prix des carburants pour réduire les subventions qui leur étaient destinées et consacrer l’argent ainsi économisé à l’éducation et à la santé, secteurs qui préparent beaucoup plus efficacement l’avenir. Il faut aussi supprimer les obstacles juridiques et administratifs qui dissuadent les investisseurs étrangers de financer les infrastructures énergétiques ou de transports dont l’Afrique a un besoin criant. Enfin, il faut persuader les Africains que leur épargne sera sécurisée et rentable s’ils misent sur la création de PME dans leur pays. Pas d’émergence africaine sans investisseurs africains.

Jeune afrique : Chute des prix des matières premières, épidémie d’Ebola, problèmes de sécurité… Avec toutes ces crises, peut-on raisonnablement tabler sur une croissance de 5 % en 2015 en Afrique ? 

MAKHTAR DIOP : Ce sont en effet des facteurs qui vont affecter la croissance en 2015. Nous tablons désormais sur une croissance modérée d’environ 4,6 % pour l’Afrique subsaharienne, soit une révision à la baisse des projections d’octobre dernier. Pour la première fois, les prix des matières premières évoluent dans le même sens. Nous avons estimé que le pétrole a baissé de 46 % en 2014, tandis que les produits agricoles et les métaux ont vu leurs cours reculer de respectivement 9 % et 7 %. Ceci complique un peu plus la situation. Par ailleurs, l’impact de l’épidémie d’Ebola sur la population active, le tourisme et l’agriculture dans les pays touchés va encore se ressentir cette année. Mais avec les données plus précises dont nous disposons désormais et les leçons que nous avons tirées de l’expérience du Nigeria, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, qui ont su contrôler l’épidémie, nous sommes en train d’affiner nos réponses et de préparer un plan devant conduire à une situation de contagion zéro. Et ceci pour permettre la relance économique des pays touchés.

Combien de temps ce travail va-t-il encore prendre ?

Il est en cours de finalisation. Ce travail se fait conjointement avec nos collègues du Pnud [Programme des Nations unies pour le développement], de l’OMS [Organisation mondiale de la santé] et de la BAD [Banque africaine de développement]. Avec le président de cette dernière institution, Donald Kaberuka, nous avons décidé d’apporter dans les trois pays les plus touchés des réponses concertées et bien coordonnées. 

Entre 2015 et 2016, de nombreux pays vont organiser des élections présidentielles qui pourraient générer des tensions. Êtes-vous inquiet pour la stabilité de la région et donc pour son économie ?

Pour moi, les élections ne signifient pas forcément des problèmes. Mais il faut veiller à ce que les questions de paix, de stabilité et de conflits ne viennent pas changer la perception du continent, qui s’est nettement améliorée ces dernières années. Je ne pense pas qu’il y aura un ralentissement du mouvement des capitaux vers l’Afrique, mais je pense que certains incidents peuvent renchérir leurs coûts, alors que ces derniers sont déjà élevés.

Les analystes tablent sur un prix du baril de pétrole à 65 dollars en 2015. Cela a des impacts importants sur les finances publiques des pays. Quelles vont être les principales conséquences de ce contexte peu favorable ?

C’est une prévision qui me semble réaliste. Pour les pays producteurs de pétrole, un ralentissement des programmes d’investissements publics est à prévoir. Au Congo, où ils représentaient près de 40 % du PIB grâce notamment aux revenus pétroliers, les autorités prévoient de ralentir l’adoption de nouveaux programmes et de mettre l’accent sur l’exécution de ceux qui sont déjà en cours. Il faut s’attendre à un contrôle des dépenses publiques, et plusieurs pays prennent d’ores et déjà des mesures en ce sens. En revanche, pour les pays importateurs nets, cette baisse du cours du pétrole peut avoir un effet positif [baisse des prix à la pompe, par exemple]. Mais cet impact est légèrement atténué par l’appréciation du dollar par rapport aux principales monnaies.

Quelles doivent être les priorités des États africains dans ces conditions ?

Les priorités ne changent pas fondamentalement. Il faut assurer une stabilité macroéconomique et continuer d’améliorer l’environnement des affaires. Si les pays veulent vraiment maintenir des taux de croissance et d’investissements élevés, le moment est idéal pour accélérer les réformes qui permettraient au secteur privé d’entrer dans le financement des infrastructures, avec davantage de partenariats public-privé [PPP]. Avec la mollesse économique en Europe et dans les pays de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], le marché des capitaux va encore trouver la destination Afrique plus intéressante. La possibilité de continuer à mobiliser des investissements directs étrangers est donc forte, comme en témoigne la multiplication des fonds d’investissement consacrés au continent.

L’environnement des affaires bloque-t-il les PPP en Afrique ?

Les difficultés dans les PPP ne sont pas spécifiques à l’Afrique. Ce sont des contrats qui sont un peu plus compliqués à mettre en œuvre, mais on y arrive de plus en plus. Tout le monde est désormais convaincu que le secteur privé doit jouer un rôle. Il y a dix ans encore, on disait que les infrastructures étaient le secteur de prédilection de l’État. Aujourd’hui, il n’y a plus ce débat. Une mesure qui pourrait renforcer cette tendance serait d’harmoniser les cadres juridiques. Par exemple, si on réussit à avoir le même cadre pour les PPP dans tous les pays de l’UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine], l’investisseur qui viendra au Sénégal pourra utiliser les mêmes documents en Côte d’Ivoire ou au Bénin. Cela facilitera les choses.

Vous comptez profiter de cette baisse du cours du pétrole pour inciter les pays africains à baisser les subventions aux hydrocarbures…

Dans le dialogue que nous allons commencer avec les pays, c’est un sujet que nous allons poser sur la table. Nous pensons que l’occasion est propice pour réaffecter une partie des dépenses publiques vers des secteurs plus productifs, pour un meilleur ciblage des dépenses en faveur des plus pauvres, mais aussi pour renforcer les investissements destinés à faire face au changement climatique. Une de nos craintes est que la baisse du prix du pétrole vienne infléchir la tendance à utiliser plus d’énergies renouvelables.

Le débat sur la transformation structurelle des économies africaines a pris de l’ampleur ces dernières années. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Il y a plusieurs opinions. Certains disent qu’il faut aller vers l’industrie manufacturière, d’autres estiment que c’est la qualité des exportations qu’il faut améliorer, et d’autres encore disent qu’il faut passer directement, comme l’a fait l’Inde, à des économies de services. Je crois que chacun de ces points de vue capte une partie de la réalité pour chaque pays africain. Il n’y a pas de modèle à l’échelle du continent, il faut regarder pays par pays.

Par exemple, le Rwanda a choisi d’orienter son économie vers les services en tenant compte de ses avantages comparatifs. Le pays a donc beaucoup investi dans les infrastructures nécessaires et a ainsi réussi à augmenter significativement ses exportations dans les services. Ce n’est pas nécessairement ce que ferait un autre pays. Il faut rester pragmatique et ne pas s’enfermer dans un débat idéologique. Toutefois, il y a des éléments transversaux importants qu’il ne faut pas perdre de vue.

C’est-à-dire ?

Quelle que soit la manière dont on veut transformer son économie, il faut que les coûts des facteurs de production soient bas. Il faut mettre l’accent sur les types d’infrastructures qui correspondent à cette politique. L’électricité à un coût faible est centrale. La question de la logistique est fondamentale pour ceux qui veulent exporter des produits manufacturés. Il ne s’agit pas seulement de construire un port ou un aéroport de qualité ; toute la partie institutionnelle, bureaucratique et administrative qui les rendrait compétitifs est importante. Et enfin, la qualité des ressources humaines est un facteur essentiel si on veut porter une économie à un niveau de productivité plus élevé. 

On a longtemps reproché à la Banque mondiale de ne pas inciter l’Afrique à s’industrialiser. Et on vous voit aujourd’hui soutenir les zones économiques spéciales que les États tentent de mettre en place pour rattraper leur retard dans ce domaine…

Je n’ai pas de point de vue dogmatique sur ce sujet. Ce que font par exemple les Éthiopiens dans ce domaine est très intéressant, et nous les appuyons. Mais je pense qu’il y a deux ou trois choses auxquelles il faut veiller. Quand on décide de choisir une industrie et d’accorder des avantages fiscaux à ses acteurs pour leur permettre d’émerger, il faut savoir que cela affecte la capacité de l’État à investir dans des secteurs transversaux. Il faut faire très attention parce que, lorsqu’on se trompe, cela peut coûter très cher. On parle beaucoup des réussites, mais très peu des échecs. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut des conditions favorables, mais que plus tôt on les généralise, mieux c’est. Par ailleurs, il faut faire attention au « gruyère » fiscal : c’est bien de donner des exemptions fiscales, mais il faut trouver les moyens de les retirer sans difficulté le moment venu.

En Afrique, le débat fait rage entre ceux qui soutiennent l’agriculture familiale et ceux qui sont pour la promotion de l’agro-industrie, qui crée plus de valeur ajoutée…

Nous avons besoin des deux types d’agriculture. C’est ce que font un certain nombre de pays que nous accompagnons, comme la RD Congo, où les importations de produits alimentaires, qui représentent 1,5 milliard de dollars par an [environ 1,3 milliard d’euros], plombent la balance des paiements. Tout en rendant disponibles de grandes surfaces de production pour les entreprises capables de faire de l’agriculture mécanisée avec des technologies modernes, les autorités accompagnent les petits producteurs en leur transférant des superficies adaptées à leur niveau de technologie. Toutes les mesures visant à améliorer la productivité agricole et à réduire le coût du panier de consommation ont un impact macroéconomique positif et diminuent la pression sur les salaires.

Vous avez réintégré votre poste de vice-président Afrique de la Banque mondiale en octobre dernier. Quelles sont les priorités que vous voulez y assurer ?

Aider davantage le secteur privé africain. Aucun pays, aucun continent au monde ne s’est développé sans que son secteur privé n’ait joué un rôle central. Je suis en train de pousser mon institution à voir ce qu’on peut faire pour aider davantage. Quand je dis « secteur privé », je ne parle pas de groupes qui ont déjà accès au marché des capitaux. Je parle des commerçants des grands marchés de Dakar ou de Cotonou qui ont besoin de franchir un nouveau cap dans le développement de leurs affaires. Comment aider ces personnes à faire cette transition ? Comment créer des conditions pour qu’elles investissent dans l’agriculture ou dans la petite industrie légère ? C’est cela qui va amener le développement du secteur privé en Afrique et va permettre de créer un tissu de PME génératrices d’emplois.

 

 

 

Par JA

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