Ebola : « Le pouvoir a tenu un discours triomphaliste, la vigilance a baissé », dixit Cellou Dalein

 

Assumer un rôle d’opposant est malaisé quand son pays est soumis à une menace grave. Depuis quatre ans, Cellou Dalein Diallo assume ce rôle face à Alpha Condé, le président de Guinée.

En juin 2010, il avait recueilli plus de 43% des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle, alors que son rival n’en obtenait que 18%. Mais cinq mois plus tard, à l’issue d’une campagne très virulente, il se décida à accepter les résultats proclamés par la Cour suprême : 52,52% des suffrages pour Alpha Condé et 47,48% pour Cellou Diallo.


« Comment passe-t-on de 18% à 52 % des voix? »

« La décision était difficile à prendre », a rappelé le leader de l’opposition guinéenne mardi 9 septembre lors d’une conférence de presse tenue au Cercle de l’Union interalliée, à l’initiative duEuropean American Press Club. « Je n’étais pas convaincu par le résultat : comment passe-t-on de 18% à 52 % des voix? Mais je l’ai accepté pour éviter d’engager le pays dans des violences qui auraient débouché sur une guerre civile. La campagne avait été marquée par une forte tension de nature ethnique, avec le slogan ‘tout sauf un Peul’, la communauté dont je suis ressortissant ».

« Beaucoup de fraudes aux élections législatives de 2013″

Trois ans plus tard, l’organisation d’élections législatives n’est obtenue qu’à l’issue de pressions internationales. Elles sont précédées par des violences politiques et ethniques qui font une cinquantaine de morts et durant lesquelles beaucoup de boutiques et de commerces ont été pillés et vandalisés. Le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), dirigé par Alpha Condé arrive en tête devant l’Union des Forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Diallo. « Il y a eu beaucoup de fraudes et à nouveau l’opposition a été placée devant une position difficile », commente ce dernier.


Un accord sur des réformes futures

Le scrutin avait été précédé d’un 
« accord du 3 juillet » par lequel la « mouvance présidentielle » et l’opposition s’accordaient sur des réformes futures : « recruter un nouvel opérateur pour constituer un fichier électoral; mener des enquêtes sérieuses pour identifier les responsables des assassins des manifestants; indemniser les victimes et leurs familles; organiser des élections communales avant la fin du 1° trimestre 2014″, égrène Cellou Diallo. « L’accord a été signé par l’ambassadeur des États-Unis à Conakry, l’ambassadeur de France, le délégué de l’Union européenne, le coordinateur résident des Nations Unies… Mais rien de cela s’est produit ».

« Le pouvoir a voulu préserver l’image du pays »

« C’est dans ce contexte qu’Ebola est arrivé », rappelle l’opposant guinéen, dont le parti a adhéré en avril 2014 à l’
Internationale libérale. « L’annonce a été faite avec retard, le 23 février 2014. Depuis, la gestion de l’épidémie n’a pas été très rigoureuse. Il y a eu  au sein du pouvoir un souci de préserver l’image du pays par rapport aux investisseurs, notamment miniers. L’isolement du foyer initial n’a pas été effectué ».


« 17 préfectures sur 33 ont connu des cas d’Ebola »

« Heureusement, les partenaires internationaux, notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Médecins sans frontières (MSF), la Croix Rouge, l’Unicef, sont venus au secours de la Guinée », poursuit-il. « Ils ont fait un excellent travail. Il faut leur rendre hommage. Ils ont risqué leur vie pour nous aider. Mais le pouvoir a tenu un discours triomphaliste, la vigilance a baissé.
Alpha Condé a même critiqué MSF en l’accusant de mal gérer les ressources de l’aide; le RPG a accusé l’opposition de faire une publicité malveillante sur le pays. Résultat, aujourd’hui, 17 préfectures sur 33 ont connu des cas d’Ebola ».

« Les médias officiels n’ont aucune crédibilité »

« Mon message, au sein de mon parti, a été clair : la case commune brûle, nous devons tous nous impliquer dans la sensibilisation de l’opinion », raconte Cellou Diallo. « La communication gouvernementale se heurtait à une défiance profonde des citoyens envers le pouvoir. Le gouvernement a compté sur la Radio télévision guinéenne (RTG) alors que ces médias officiels n’ont aucune crédibilité. Il n’a pas voulu passer de spots sur les radios privés. Le pouvoir n’a pas voulu associer à sa campagne, non plus, les leaders d’opinion ».

« Nous disons aux gens : l’épidémie, c’est vrai »

« Dans mon parti, durant les vacances parlementaires, on a demandé à tous nos députés d’aller dans leur circonscription pour leur dire que la crise était réelle », souligne cet ancien premier ministre (2004-2006). « Deux de nos députés sont allés à Télimélé, où un cas est apparu. Ils ont fait de la sensibilisation. On a enregistré trois cas, et aujourd’hui il n’y en a plus. Nous disons aux gens : d’abord, l’épidémie, c’est vrai, ce n’est pas une propagande du gouvernement; ensuite, respectez les consignes données par les partenaires internationaux et par les agents de santé ».

« Beaucoup pensent que l’accès au paradis dépend de la toilette du défunt »

« Moi-même, je vais souvent dans les mosquées », ajoute-t-il. « Je demande aux imams qu’ils disent aux gens de ne pas se serrer les mains, par exemple. Ils sont bien écoutés mais ils n’ont pas été associés à la campagne et ils ne se sont pas investis d’eux-mêmes de cette mission. C’est d’autant plus important qu’il faut faire face aux croyances des gens. Il est très difficile d’obtenir que les familles laissent enterrer leurs proches sans procéder à toutes les toilettes traditionnelles, car beaucoup pensent que l’accès au paradis dépend dans une large mesure de ces rites. Il y a une résistance au fait d’abandonner ainsi un parent sans l’accompagner ».

« Les gens n’arrivent pas à assurer deux repas par jour à leur famille »

Depuis le début, nous n’avons pas voulu politiser l’épidémie d’Ebola, c’est une question de sécurité nationale, chacun doit s’investir », assure Cellou Diallo. « Mais la crise me rend encore plus sceptique sur l’organisation d’une élection présidentielle crédible l’an prochain. Je ne sens pas une volonté d’Alpha Condé de tenir des élections transparentes. La situation économique est en effet difficile; 
55% de la population est sous le seuil de pauvreté et cela s’accentue. Les gens n’arrivent pas à assurer deux repas par jour à leur famille. Il y a moins d’électricité, moins d’eau courante, moins de sécurité ».

« Mon parti est plus fort qu’en 2010″

« Tout cela profite à l’opposition », constate le leader de l’UFDG. « Mon parti est plus fort qu’en 2010. Il enregistre beaucoup d’adhésions du fait des difficultés de la vie, des promesses non tenues, de la précarité, de l’exode rural. La Basse Guinée, par exemple, que le pouvoir considérait comme un fief, est aujourd’hui favorable à l’opposition. Et les élections législatives de l’an dernier ont montré qu’Alpha Condé ne pouvait pas emporter Conakry. Donc il n’est pas pressé d’organiser un scrutin ».

« Alpha Condé ne veut plus d’observateurs de l’Union européenne »

« S’il n’y a pas d’élection transparente, on risque des réactions populaires », prévient l’ancien premier ministre. « Or Alpha Condé a fait savoir qu’il ne voulait plus de l’assistance technique ni d’observateurs de l’Union européenne. Pour lui, c’est l’UE qui l’a empêché d’obtenir une majorité qualifiée lors des élections législatives. De fait, la délégation européenne s’était montrée stricte, attentive. Sa vigilance a permis à l’opposition de limiter les dégâts de la fraude. Elle a ensuite laissé des recommandations pour corriger le code électoral, revoir la loi sur la Ceni (Commission électoral nationale indépendante), définir le statut et les attributions du juge électoral »…

« Descendre dans la rue nous coûte cher »

« Dans ce contexte, l’opposition a trois voies de recours : le dialogue, la communauté internationale et la rue », poursuit Cellou Diallo. « Descendre dans la rue nous coûte cher : 57 morts l’an dernier, d’autres paralysés à vie, 1400 jeunes arrêtés et condamnés. Ce n’est pas notre choix premier. Le problème est qu’Alpha Condé n’est pas un homme de dialogue ».

« La stigmatisation de la ‘mafia peul’ »

« La mouvance présidentielle continue par ailleurs d’attiser le tribalisme », s’inquiète-t-il. « En Guinée, 
il y a quatre régions ethniques : peul, malinké, soussou, forestiers. Il y a toujours eu des préjugés, mais cela restait des conversations de café. La campagne de 2010 a été la première fois où un discours public s’est appuyé sur ce critère. Avant le second tour, la stratégie était de réunir les trois autres groupes contre les Peuls. Ensuite, la stigmatisation de la ‘mafia peul’ a continué ».

« Le changement par l’exemple »

« Comment lutter contre cela? Par l’état de droit, le respect des critères objectifs de compétence, de l’égalité entre citoyens », conclut avec emphase Cellou Diallo. « En Guinée, il y a tellement de besoins, de problèmes, de pauvreté, de vulnérabilité, que les gens sont en recherche des faveurs du chef. Il faudra un jour un président qui ait la ferme volonté de changer ces comportements par l’exemple, en montrant son respect des lois et règlements et son attachement à l’égalité des citoyens ».

 

 



Source: La Croix

 

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