Révélations: Des kits anti-Ebola vendus au marché noir à Conakry

À côté des fruits ou des pagnes du marché Madina de Conakry, on trouve depuis plusieurs mois des kits sanitaires, chlore, bassines ou gants, pour se protéger du virus Ebola qui a frappé le pays.

Mais à y regarder de plus près, ce sont des produits normalement gratuits distribués par des ONG aux habitants les plus pauvres qui finissent monnayés sur les étals.

Jeudi 13 et vendredi 14 novembre, nos Observateurs guinéens à Conakry se sont rendus au marché Madina où plusieurs rapports de la presse guinéenne font état de la vente illicite de matériel médical destinés à la lutte contre Ebola. Des clients avaient notamment remarqué la présence de bouteilles de chlore bleues estampillées Unicef et sur lesquelles est indiqué « ne peut être vendu ».

Outre ces bouteilles, nos Observateurs affirment que des gants, des masques ou encore des bassines normalement distribuées dans les quartiers les plus pauvres se retrouvent aussi sur les marchés.

 

« Même ma voisine revend des bouteilles de chlore à bas prix dans mon quartier »

Fatoumata Binta Diallo, étudiante en journalisme, habite à Conakry et a écumé les marchés ces derniers jours. Ce trafic est très répandu, j’ai même ma voisine qui a un stock entier de bouteilles de chlore Unicef et qui les revend à bas prix dans le quartier. Elle n’a pas conscience que ces bouteilles ne sont pas destinées à la vente, pour elle, elle les a légalement achetées et doit donc les revendre pour gagner sa vie.

Ce trafic a lieu parce que la demande de chlore explose, le prix d’une bouteille est passé de 3 000 à 5 000 francs guinéens depuis le début de l’année [de 35 à 60 centimes d’euros]. Ici à Conakry, beaucoup de gens disent « avec Ebola, on va être riche ». Malheureusement, ce n’est pas un phénomène nouveau : par le passé, il était très fréquent que des distributions de matériels sanitaires, comme des savons dans les écoles, finissent sur les marchés de Conakry.

 

« Les marchands, souvent analphabètes, sont les victimes de ce système »

La plupart des produits, et notamment les bouteilles de chlore, sont fabriqués localement par des entreprises sociales. Une de ces structures, Tinkisso-Antenna, travaille depuis 2008 avec l’Unicef dans le domaine de l’accès à l’eau potable. Depuis 2012, elle produit des bouteilles de chlore pour l’organisation onusienne dans son usine de 80 employés.

Ces bouteilles sont achetées par l’Unicef à prix cassés, 3 300 francs guinéens (moins de 38 centimes d’euros) contre 4 000 ou 5 000 francs guinéens en temps normal (entre 50 et 60 centimes d’euros). L’Unicef les distribue ensuite gratuitement à des représentants locaux dans les quartiers les plus défavorisés de Conakry. C’est à ce niveau que le trafic se fait, selon Aboubacar Camara, coordinateur du projet Tinkisso-Antenna Guinée.

L’Unicef distribue les bouteilles de chlore auprès des chefs de quartiers par défaut ou à des associations locales qui ont participé à des actions de sensibilisation sur Ebola. Mais récemment, nous avons remarqué que ces intermédiaires sont souvent des ONG fantômes dans le contexte de l’épidémie d’Ebola. Ces associations distribuent bien une grande partie des stocks, mais gardent certains cartons qu’elles vont monnayer à prix imbattables : 150 000 francs guinéens (17 euros) le carton de 60 bouteilles, au lieu de 300 000 francs guinéens. (35 euros) [Le docteur Sékouba Keita, coordinateur national de la lutte contre Ebola en Guinée, a déclaré fin septembre en avoir ‘ras-le-bol’ des ONG mercantiles créées dans le cadre du « Ebola-business » NDLR] À priori, tout le monde est gagnant : le marchand, car il a acheté ses stocks moins cher, et l’intermédiaire qui n’a rien eu à débourser pour avoir ces bouteilles.
Ces ONG fantômes traitent la plupart du temps avec des vendeurs qui ne savent pas lire et qui ne sont pas conscients que non seulement leur activité est illicite, mais qu’en plus, ils vendent des produits destinés aux plus démunis. Lorsque les cargaisons sont saisies, le marchand est tenu pour responsable : il risque la saisie des stocks et la détention provisoire.

 

Sept chefs de quartiers arrêtés la semaine dernière pour trafic illicite de produits sanitaires

Pour l’heure, aucun texte de loi ne prévoit de sanction pour la vente de ces kits. Les marchands interpellés en possession de ces stocks font généralement quelques heures de garde à vue avant d’être relâchés. Contacté par France 24, Mohammed Ag Ayoya, représentant de l’Unicef à Conakry, explique :

« Le problème principal est de savoir quels intermédiaires ont revendu nos kits : pour ce faire, nous venons de mettre en place un système de bouchons de bouteille de couleurs différentes pour chaque intermédiaire. Cela nous permettra de remonter la chaîne et d’identifier les coupables. »


Certains responsables ont déjà été identifiés : la semaine dernière, le gouverneur de Conakry a 
limogé sept chefs de quartiers accusés de détournement et de mise en vente de produits sanitaires.

Mercredi, la barre des 5 000 morts de fièvre hémorragique Ebola a été dépassée. Sur les 14 098 cas recensés dans le monde, 1 878 le sont en Guinée pour 1 142 décès.

 

 

France24

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