Faya Millimouno (BL):  »notre pays est en train de perdre son âme »

dr faya milDans cette interview exclusive qu’il nous a accordée, le mercredi 2 décembre dernier, le leader du parti Bloc Libéral (BL) passe en revue plusieurs questions de l’actualité nationale. Il se montre toujours acerbe vis-à-vis du pouvoir de Conakry.

La République : A ce qui se dit, le chef de l’Etat entend former un gouvernement de ‘’compétents’’. Les hommes viendraient de tous les bords. Et si son choix tombait sur vous, l’accueilliez-vous favorablement?

Dr Faya Millimouno : Le président est libre d’aller chercher des compétences où il voudra. S’il promet que cette fois-ci il ne va pas mettre des médiocres qui sont en train de se jouer de l’économie guinéenne aujourd’hui, il y aura encore plus de mécontents qu’on le prévoit. Maintenant, si à la recherche de ces compétences, son choix tombait sur moi, je dis : Quand les élections sont terminées, j’ai été contacté je ne sais combien de fois par le protocole de monsieur Alpha Condé pour une rencontre, mais ça n’a pas marché. Nous ne sommes pas en politique pour faire des négociations opportunistes. Je puis vous dire, en tant que Faya Millimouno, que je n’appartiendrais pas au prochain gouvernement, même si on me faisait appel.

Etes-vous dans la logique du non compromis ?

Ce n’est pas que, comme certains pensent, nous adoptons une attitude radicale. Non ! Mais parce que nous pensons que le rôle que nous jouons aussi du côté de l’opposition, en étant critiques, objectifs, et en faisant des propositions, c’est encore mieux que lorsque vous prenez quelqu’un d’incompétent qui est là pour mentir et se jouer des pauvres citoyens.

Il y a eu récemment des violences à Touba autour de la construction d’une mosquée qui ont fait état de trois morts et de plusieurs blessés. Le chef de l’Etat a pris la décision de démettre de leurs fonctions le ministre de la sécurité et le secrétaire général aux affaires religieuses. Certains ont jugé l’acte salutaire dans le cadre du respect de l’autorité de l’Etat. Beaucoup, par contre, ont estimé que cette décision relève du deux poids deux mesures, étant donné que le président Alpha Condé n’avait pas pris une telle décision précédemment lors des violences similaires en province. Etes-vous d’avis?

Personnellement, lorsqu’il m’a été donné de réagir par rapport à cette décision, j’ai estimé que l’acte était dans la bonne direction. Mais comme ce que vous venez de mentionner, j’ai été aussi déçu que le président de la République ait fait preuve de deux poids deux mesures. Il ne faut pas qu’on donne l’impression, dans notre pays, qu’il suffit qu’on tue au nom du président qu’on en a le droit de le faire. Avant les élections et au cours des élections, il y a eu des familles entières tuées à Banankoro. Personne n’a été inquiété. Je ne crois même pas qu’une commission d’enquête ait été mise en place. Deuxième chose qui m’a paru questionnable, c’est l’affaire des prisons. J’ai lu le rapport de la commission qui a étudié le système carcéral en Guinée. Ce rapport relève que plus de la moitié des prisonniers le sont sans jugement. Autrement dit, ce sont des gens qui sont en train d’être détenus illégalement depuis des années. Lors de la tentative d’évasion, comme on nous a fait croire, vous avez entendu des gens clamer : ‘’Jugez-nous’’ ou ‘’libérez-nous’’. Il est clair que nous sommes en train de vivre une injustice que nous condamnons par ailleurs au Bloc Libéral.

Et il n’y a pas eu de sanction bien qu’il ait eu des morts lors de ce qu’on a appelé tentative d’évasion. Il y a d’autres actes odieux que nous continuons à voir dans notre pays. Je ne sais pas ce qu’on a reproché aux prisonniers de Kouroussa. Mais du moment qu’ils étaient dans les mains des autorités judiciaires, laisser que des gens viennent les arracher de là et les brûler comme des saucisses, je trouve que notre pays est en train de perdre son âme. Et pourtant l’espoir renaissait quand le ministre Cheick Sacko a été nommé à la tête du ministère de la Justice.

Sur le plan judiciaire, des réformes ont été faites. Il s’agit notamment de la mise en place du Conseil supérieur de la magistrature. Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que le département en charge de la justice n’a pas les moyens de sa politique ou encore qu’il subit la pression de l’exécutif ?

Ce n’est pas juste un problème de moyens de sa politique. J’ai été de ceux qui avaient apprécié Me Sacko quand il est arrivé à la tête de ce département. Mais il y a longtemps de cela que j’ai été déçu. Parce que Me Sacko est aujourd’hui, si vous voulez, le maitre à penser de ce deux poids deux mesures. On devait tenir compte de ce qui s’est passé à Conakry et également dans d’autres prisons à l’intérieur du pays, notamment à Kouroussa. Je sais que par complaisance on ne l’a pas enlevé.

Mais lui même en tant qu’homme de droit, il devait tirer ses propres conclusions et rendre sa démission. Je n’attends rien de Me Sacko, désormais en ce qui concerne la justice dans ce pays. Je juge quelqu’un en fonctions par rapport aux actes qu’il pose, pas des belles phrases qu’il sait dire à la télé. Lorsque monsieur Sacko a fait déplacer la Cour d’appel de Kankan pour aller juger l’affaire de Womé à N’Zérékoré, juger l’affaire de Koulé et Beyla à N’Zérékoré, et ne pas évoquer l’affaire de Zowota, dont les victimes réclament justice depuis 2012, j’ai compris qu’on avait un avocat raté qui s’est retrouvé à la tête du ministère de la justice. Donc, il ne faut pas attendre du miracle de Me Sacko. Il y a eu quelques actes au début qui ont montré qu’il y a eu une certaine volonté, mais aujourd’hui il est clair qu’il n’est pas le ministre de la justice que les Guinéens rêvent. Nous vivons vraiment dans un pays d’injustice.

Nous nous acheminons vers l’investiture à deux vitesses du président Alpha Condé. Ce rendez-vous suscite de vifs débats aujourd’hui dans la cité. Certains estiment que c’est anticonstitutionnelle, d’autres soulignent son caractère budgétivore. Qu’en dites-vous ?

Non seulement c’est anticonstitutionnel, pare ce qu’encore une fois, on ne peut pas faire prêter serment aujourd’hui, brûler de l’argent pour organiser la prise de fonction une semaine plus tard. Non seulement c’est anticonstitutionnel, mais aussi c’est une façon de dilapider les fonds publics.

Selon vous, quelles pourraient être les priorités du président Alpha Condé à l’occasion de son second mandat?

L’une des priorités, c’est d’améliorer la gouvernance de notre pays. La gouvernance sera améliorée dans son caractère restreint. Il faut que le gouvernement qu’il mettra en place soit un gouvernement restreint d’hommes et de femmes intègres et expérimentés. Ceci est extrêmement important. L’autre priorité qui rentre dans le cadre des rôles cardinaux du gouvernement, c’est d’assurer la sécurité.

Nous voyons aujourd’hui sur internet des enfants violées et jetées en brousse. Et il n’y a même pas de commission d’enquête à ce sujet. Nous sommes en train de perdre notre âme sous la gouvernance de monsieur Alpha Condé. Il ne s’agit pas d’avoir des milliards pour faire face au problème d’insécurité. Je crois que c’est une question de volonté politique. Il y a aussi la justice, parce qu’après tout, les gens pensent qu’un gouvernement c’est donner à manger aux gens. Le gouvernement a pour rôle de créer les conditions d’épanouissement des populations. Les Guinéens sont dotés d’intelligence, ils peuvent travailler.

Autant qu’ils soient en sécurité et vivent dans un environnement de justice et de paix. Aujourd’hui,nous avons une sorte d’accalmie qui ne dit pas son nom. Mais nous devons continuer à rappeler à tout un chacun que la paix ce n’est pas l’absence du conflit. La paix, c’est l’existence de la justice. Or, il suffit de mentionner le mot justice pour savoir qu’en Guinée il n’y a pas de justice. Si vous ne voyez pas aujourd’hui des gens protester par-ci, par là, ce n’est pas parce que la paix existe. Non. Donc, il doit s’engager dans le processus de construction de la paix en Guinée. Cela passe par la sécurité, la justice, la réconciliation nationale et la mise en place des institutions crédibles qui vont faire le travail républicain. De manière impersonnelle sans favoriser les uns au détriment d’autres.

Quel est votre dernier message pour conclure cette interview ?

Mon dernier message, par quoi j’aurais pu commencer, c’est dire merci à tous les Guinéens qui ont porté leurs choix sur Faya Millimouno à l’occasion des dernières élections. Je ne me fatiguerais de leur dire merci parce que, la candidature que j’ai été est celle d’espoir.

Qui tout au long a demeuré ainsi. Parce que comme vous le savez, la manière dont la politique se fait dans notre pays, c’est à quelle ethnie, quelle région tu appartiens. Combien tu as dans ton compte en banque. Combien de tee-shirts tu as imprimés…Ceux-là qui, malgré tout, n’ont exigé ni de billet de banques ni le teeshirt, ni le fait que nous soyons d’une même ethnie, de la même région, m’ont choisi. S’ils m’ont choisi, c’est qu’ils ont vu en moi quelqu’un qui incarne les valeurs pour lesquelles ils sont en train de se battre. C’est le seul élément positif que je tire de ces élections. Donc, ça me donne l’espoir en continuant le combat tel que nous avons fait jusque-là. Il y a des Guinéens qui vont nous rejoindre. Nous remercions ces Guinéens et leur encourageons et leur disons que nous n’allons jamais les abandonner.

Par Youssouf Diallo (In La République)

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