Alpha Condé: « Nous n’exproprions personne »

Le président guinéen Alpha Condé explique son bras de fer avec BSGR, géant minier en mains du milliardaire Beny Steinmetz, domicilié à Genève. L’entraide judiciaire a été accordée par la Suisse. La Guinée a lancé une opération mains propres sur ses contrats miniers
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Il est 20h, jeudi soir dernier à Klosters, à quelques kilomètres de Davos. Alors que la neige commence à tomber, Alpha Condé, premier président démocratiquement élu de Guinée-Conakry, reçoit Le Temps et le Wall Street Journal dans son hôtel. L’homme était au centre des attentions au Forum économique mondial, notamment celles des géants de l’exploitation minière. Car depuis son arrivée au pouvoir en 2010, Alpha Condé a mis en place un Comité technique de revue des titres et conventions minières et lancé une opération mains propres qui pourrait contrer les intérêts d’investisseurs peu scrupuleux.

Dans le collimateur d’Alpha Condé: le groupe BSGR, un conglomérat minier détenu par une fondation dont Beny Steinmetz – qui réside à Genève une partie de l’année – et sa famille sont les bénéficiaires. A la suite d’une procédure d’entraide judiciaire initiée par les autorités guinéennes, le domicile genevois du milliardaire israélien Beny Steinmetz a été perquisitionné à la fin de l’été 2013. La procédure suit son cours. Alpha Condé explique les enjeux de ce bras de fer qui met aux prises son pays et BSGR, avec en toile de fond des montants colossaux.

Le Temps: Monsieur le Président, vous avez rencontré à Davos des représentants de géants miniers. De quoi avez-vous parlé?

Alpha Condé: Le FMI et Oxfam disent que les inégalités deviennent un danger au niveau mondial. Ils plaident pour une intensification de la lutte contre la corruption. Nous sommes concernés au premier chef et nous allons intensifier notre combat contre les pratiques douteuses, courantes dans le secteur minier. J’ai été très clair à l’égard des sociétés exploitantes. Leurs actionnaires sont impatients et demandent des résultats. Mais mon peuple aussi réclame des résultats. Nous réfléchissons à un nouveau modèle de partenariat avec les compagnies. Si, l’an passé, le climat était à la confrontation, cette année, c’est plus feutré.

– Concrètement, quels sont les résultats obtenus par le Comité technique de revue des titres et conventions minières?

– Il évalue le cadastre minier et les contrats. En ce qui concerne les autorisations de prospection, il y a trois types de situation. D’abord, les sociétés qui ont rempli les conditions pour qu’on leur octroie une concession. Ensuite, les sociétés qui ont travaillé mais pas encore atteint leurs objectifs – on peut alors leur donner un délai supplémentaire pour qu’elles finissent leurs études de faisabilité. Et enfin, il y a des sociétés qui ont un permis depuis dix ans mais qui ne savent même pas où se trouve leur mine. Nous récupérons les licences de ces dernières, ce qui nous a permis d’en obtenir 800 dans le domaine du fer, de la bauxite, de l’or et du diamant.

– Et dans les cas de corruption soupçonnée ou avérée?

– Le comité traque les contrats obtenus d’une manière qui implique de la corruption. Selon la loi, si un contrat a été obtenu de cette façon, il doit être annulé. Sans parti pris, sans intention de favoriser ou défavoriser qui que ce soit. Il peut aussi arriver qu’un contrat soit en règle, mais défavorable à la Guinée. Il ne s’agit alors pas de casser la convention existante, mais de la renégocier avec les firmes concernées, afin qu’elle devienne plus favorable aux intérêts guinéens.

– Parlons du cas de BSGR et de Beny Steinmetz. La société vous accuse d’expropriation. Que répondez-vous?

– Distinguons deux choses. BSGR avait une concession pour la mine de Zogota. Il lui était donc impossible de vendre sans l’accord du gouvernement guinéen. Pour les sites de Simandou 1 et 2, BSGR n’avait qu’un permis de recherche. L’ancien et le nouveau code minier précisent que ce type de permis ne peut être cédé, ni vendu. BSGR ne pouvait donc vendre à Vale [ndlr: géant minier brésilien] et ce, même si un ministre l’y avait autorisé, car la loi prédomine. Nous n’exproprions personne, nous appliquons la loi. Le comité technique vérifie si des faits de corruption sont avérés. S’il recommande le retrait de ces titres pour cause de corruption et si les permis sont retirés sur cette base, alors il ne serait pas nécessaire d’aborder la question de la cession des permis. Et une décision de nullité pour corruption ne sera pas assimilable à une expropriation.

– Ne craignez-vous pas d’être mal compris et de faire fuir les compagnies minières?

– Non. La preuve, les groupes CPI, Rusal, et bientôt Alufer pour le fer et la bauxite, travaillent en Guinée et investissent. BSGR affirme que je veux prendre ses mines pour les donner à mes amis. Or, depuis que je suis arrivé au pouvoir, je n’ai pas octroyé le moindre permis à des sociétés qui me sont proches. Je ne suis contre personne, je ne suis pour personne. En général, quand il y aura des titres à attribuer, il y aura des appels d’offres et celui qui offrira le plus remportera le contrat. Au début de ma présidence, des sociétés chinoises sont venues me voir pour me proposer 1 ou 2 milliards en contrepartie d’un permis. Je leur ai répondu que je discuterais volontiers des conditions d’un prêt mais que cela ne donnerait lieu à aucun favoritisme pour l’octroi de concession minière.

– Vous êtes assisté par George Soros pour la redéfinition des contrats. Quels sont ses intérêts? Ne risquez-vous pas de vous soumettre à de nouveaux intérêts étrangers?

– J’ai rencontré George Soros avant mon élection. Je lui ai exposé mon programme. Cela l’intéressait. Il m’a répondu qu’il ne financerait pas ma campagne mais que, si je gagnais les élections, il m’accompagnerait pour m’aider à appliquer mon programme anti-corruption. George Soros finance la fondation de Tony Blair, Africa Governance Initiative, qui épaule mon gouvernement pour lui permettre de mieux s’organiser. Par ailleurs, George Soros me conseille, à l’aide d’experts, pour que je défende au mieux les intérêts de la Guinée. Mais il n’a aucune intention d’investir dans le domaine. Il ne soutient aucune société minière et son organisation, Revenue Watch, se montre intransigeante sur la transparence. Mais c’est une ONG. Et je représente un Etat. Je ne suis pas obligé de suivre ses recommandations.

– Vous avez contacté la Suisse pour une demande d’entraide judiciaire concernant la société BSGR, basée à Genève. Que pouvez-vous en dire?

– Les Etats-Unis, la Suisse, la France, l’Angleterre et Guernesey ont donné suite à nos demandes d’entraide judiciaire. Mais les Etats-Unis et les Suisses ont été le plus loin. Je ne vais pas entrer dans les détails, en raison du secret de l’instruction, mais ce qu’ont fait les Américains et les Suisses, la Guinée n’aurait pu le faire. Je remercie ces deux pays.

– BSGR a payé 165 millions de dollars pour Simandou et a investi 1 milliard pour une ligne de chemin de fer…

– (Il coupe.) Non, ce n’est pas vrai. Toutes les dépenses, hormis ces 165 millions d’investissements, ont été réalisées par Vale, qui a confirmé avoir réalisé les études et l’ensemble des investissements. En fait, BSGR aurait peut-être investi jusqu’à 165 millions de dollars dans Simandou 1 et 2, et a revendu la moitié de sa part pour 2,5 milliards de dollars. Est-ce acceptable? Il ne faut pas se moquer du monde!

– Quelle est l’importance de la mine de Simandou?

– Les blocs 1 à 4 permettront une exploitation de 50 à 100 ans, voire davantage. Il s’y trouve de très importantes réserves de minerai de qualité exceptionnelle. C’est une immense opportunité pour l’avenir de notre économie.

– Quand fixerez-vous le sort de Simandou?

– Une recommandation sera prise prochainement par le comité technique, mais je ne peux vous dire quand. Si les licences sont retirées, il y aura un appel d’offres, réalisé de manière transparente.

– BSGR affirme que vos réformes préparent le suicide économique de la Guinée…

– Je ne m’occupe pas de ce que dit BSGR. Je mène ma politique. Les richesses minières ont longtemps représenté une malédiction pour la Guinée. Je veux qu’elles deviennent une bénédiction pour mon peuple.

– La Guinée est un petit pays. Pensez-vous réellement pouvoir résister aux pressions des compagnies minières?

– Oui, nous en faisons la preuve en récupérant les mines mal acquises. Cela ne s’était jamais vu auparavant. Bien sûr, nous prenons des risques, y compris pour nos vies. Mais d’autres pays nous suivent. Il n’y a pas de corruption sans corrompus: les sociétés minières paient des grands cabinets d’avocats, financent des campagnes électorales. Grâce à ces fonds occultes, les dirigeants achètent des villas en France ou aux Etats-Unis et cachent leur argent sur des comptes en Suisse… Je veux mettre fin à cela.

 

LTG

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