Entretien avec Touré Mohamed, responsable technique du FER : Gros plan sur les difficultés et défis de l’entretien routier en Guinée

DSC07045Mohamed Touré est responsable technique du Fonds d’entretien routier (FER). Cet ingénieur des ponts et chaussées répond, dans cette interview exclusive qu’il a accordée il y a peu à La République, aux questions de fond liées au FER et ses services rattachés. Lisez !

La République: Il y a trop de supputations au sujet de l’entretien routier. En tant que technicien de la boite, dites-nous exactement quel est le rôle assigné au Fonds d’entretien routier en matière de travaux publics en Guinée? 

Touré Mohamed: Le rôle du Fonds d’Entretien Routier, c’est d’administrer et  de financer  les activités réalisées en termes  d’entretien routier par les maitres d’ouvrage. Le Fonds d’entretien routier travaille avec des maitres d’ouvrages que sont: la Direction nationale de l’entretien routier, la Direction nationale des routes communautaires, la Direction nationale du génie rural et la Direction nationale des transports terrestres. C’est en fonction de la classification des routes en Guinée que ces différentes directions ont été créées.

Ce sont des services qui relèvent du FER ou du département des travaux publics ?

Ces directions relèvent de trois ministères. La direction nationale de l’entretien routier et la direction nationale des routes communautaires relèvent du ministère des Travaux publics. La direction nationale du génie rural relève du ministère de l’Agriculture. La direction nationale des transports terrestres relève du ministère des Transports. Donc, comme je le disais, ce sont les maitres d’ouvrages, des collaborateurs du Fonds d’entretien routier. Il faut dire que le Fonds d’entretien routier a pour tutelle aussi le ministère des Travaux publics. Donc, c’est une direction générale. Il n’y a pas de relation de subordination avec ces maitres d’ouvrages.

Quel parallèle peut-on faire entre la direction nationale de l’entretien routier et le fonds d’entretien routier?

C’est une maison qui a des chambres différentes. C’est-à-dire le chapeau est là: le ministère des Travaux publics qui a une direction nationale de l’entretien routier. Ça, c’est le service technique du ministère. La direction générale du Fonds d’entretien router, c’est le service administratif et financier. Donc, depuis la mise en place du Fonds d’entretien routier avec l’appui des bailleurs de fonds, il faut dire que le FER bénéficie d’une certaine autonomie financière exigée par les bailleurs de fonds, afin d’avoir un minimum de suivi et un maximum de transparence dans la mise en œuvre des différents programmes routiers. Pour revenir à votre question, il faut dire que la direction nationale de l’entretien routier, c’est le service technique qui s’occupe de la programmation, de la conception des diagnostics sur le terrain, de la préparation des documents techniques, de la passation des marchés, du suivi de la mise en œuvre de la contractualisation et du suivi de la mise en œuvre des différents programmes d’entretien routiers. Une fois que les programmes sont contractualisés, ces contrats ont transmis à la direction nationale du Fonds d’entretien routier pour approbation.

DSC07048Quelles sont les principales sources de recettes du Fonds d’entretien routier? 

La principale source de recettes du Fonds d’entretien routier, c’est la RER. C’est-à-dire la Redevance d’entretien routier. Ça, c’est un montant qu’on prélève sur le litre de carburant vendu.

Est-ce que vous parvenez à mobiliser tous les fonds nécessaires pour couvrir les besoins des travaux d’entretien routier? 

Achever les travaux c’est une chose, mais couvrir les besoins en termes d’entretien routier, c’est là le problème. Ce qu’il faut dire, c’est que les ressources du Fonds d’entretien routier sont largement inférieures aux besoins en entretien routier. C’est moins de 30%. Donc, avec la RER, on ne peut avoir que 25% des besoins couverts par le Fonds d’entretien routier. Ce n’est quasiment pas suffisant. Alors, s’il faut parler d’autres pays où on parle maintenant de péage, des pesages, où certains ont les taxes sur des vignettes. Là, une partie de ces montants sont reversés au Fonds. Mais en Guinée, c’est seulement la redevance sur le litre du carburant.

Est-ce que vous entrevoyez d’explorer d’autres sources de recettes en dehors de la RER? 

C’est un service public dont les financements dépendent de l’Etat. C’est l’Etat qui a accepté de céder cette partie pour mettre en place cette structure pour pouvoir financer les travaux d’entretien routier. Mais, il s’avère aujourd’hui que c’est largement insuffisant. Il faut augmenter et diversifier ces ressources. Donc, des démarches ont été engagées il y a longtemps, des études ont été faites non seulement pour rehausser le niveau de paiement de la taxe sur le litre vendu (250Fg/litre). Ce ne sont pas les deux litres que vous achetez qui feront les routes. C’est bien évidemment les grandes entités, les grandes structures, les grands consommateurs de carburant. Quand ceux-ci achètent du carburant, ça fait beaucoup plus de litres vendus. Et c’est en fonction des litres vendus que nous, nous avons des ressources. Et ça ne dépend que de çà. Et il y a eu des démarches pour diversifier les sources de recettes. Il s’agit notamment de la mise en place des points de péage, des postes et de stations de pesage à l’instar des autres pays. Il faut pénaliser des véhicules. La réalité, c’est qu’on a des problèmes, et nos ressources sont faibles. Pourtant, les facteurs de dégradation prématurée des routes sont là. Il faut voir les surcharges. Voyez un peu tous ces camions surchargés qui sortent du port, mais qui ne sont pas contrôlés.

Justement, quels sont les principaux facteurs de dégradation des routes? 

Le point précédent, la surcharge, est un facteur de dégradation prématurée de nos routes. Parce qu’il faut le dire, si on ne maîtrise pas les surcharges de ces camions, de ces gros-porteurs, une route ayant une durée de vie de quinze ans ne pourra durer que cinq ans. Ça, c’est clair ! Regardez un peu, si vous prenez l’axe Kagbélen-Tanèné. C’est un axe pratiqué par des camions de sable. A l’aller, vous verrez la bande du sud, à votre droite, en allant vers Tanèné, vous verrez que la chaussée se porte bien. Parce que là, les camions roulent à vide. De l’autre côté, au retour, les camions roulent chargés. Cette bande est complètement dégradée. Alors, les chaussées sont faites de la même manière. C’est pour dire combien de fois les poids, les surcharges ont un impact négatif sur les véhicules, sur la chaussée. Mais malheureusement, ce n’est pas pénalisé ! Il y a eu, avec l’appui de l’Union européenne, la mise en place de quelques stations de pesage (vous en avez à Friguia, à Djoumayah…). Mais depuis 2011, ces stations sont équipées, mais fort malheureusement, les pénalités n’ont jamais été faites.

DSC07047Il y a d’autres agressions humaines comme les dos-d’âne sur les routes, est-ce qu’il vous arrive en tant que financier d’interpeler les services habilités? Avez-vous ce pouvoir de contrôle? 

Oui ! Il y a une structure au niveau de la direction nationale de l’entretien routier qui s’occupe de la protection du réseau routier. Au niveau de cette structure, en principe, les autorisations de mettre des dos-d’âne doivent être prises. Il y a une loi qui est en train d’être préparée pour la protection du patrimoine routier. Quand ça sera mis en place, il y a des sanctions, des pénalités et des montants qui seront clairement définis. Il y aura des brigades mobiles qui seront en mouvement, à tout moment, pour interpeler tous les contrevenants.

A combien s’élève le budget du Fonds d’entretien routier pour la zone spéciale de Conakry?

Ce n’est pas moins de 50 milliards de francs guinéens.

D’aucuns pensent qu’au lieu de l’entretien routier, il faut refaire complètement les routes. Qu’en dites-vous? 

Oui, c’est exact. Ce qu’il faut dire, c’est que le niveau de dégradation des routes est tel qu’aujourd’hui on a dépassé le niveau d’entretien. Vous savez, pour l’entretien, il y a un seuil. Donc, si les différentes couches de la chaussée sont atteintes, il n’y a plus de fondation, et on ne parle plus d’entretien, mais de la réhabilitation totale. Regardez par exemple la route Conakry-Kindia-Mamou, c’est une route qui est âgée de plus de 30 à 40 ans. Elle est complètement fatiguée. Cette route, elle-même nécessite aujourd’hui une reconstruction. Mais puisque ce sont des gros investissements, est-ce qu’il faut cependant laisser cette route se dégrader? C’est la Nationale N°1, on ne peut pas l’abandonner. Il faut boucher des trous. Mais, c’est en étant conscient de ce que l’on est en train de faire. On va boucher un trou aujourd’hui et demain. C’est la chaussée qui se dégrade. En attendant qu’on ait de gros investissements, on est obligé de colmater, à la hauteur de nos moyens, pour que les usagers puissent circuler, pour ne pas que la route soit coupée.

Votre mot de la fin… 

Nous devons tous contribuer à la protection du réseau, chacun en ce qui le concerne. Aux services techniques de faire un bon diagnostic, une bonne programmation et au niveau du service financier que nous sommes, d’avoir un bon plan de paiement des différentes factures. Au niveau des autorités, il faut essayer de diversifier nos ressources afin qu’on puisse couvrir les besoins en matière d’entretien routier. A la population, aux usagers, nous leur demandons de renoncer à la surcharge, de ne pas agresser le peu de chaussées réalisées, de respecter le peu qui est fait. Il faut surtout refuser d’agresser la route en y versant des produits toxiques, des matières agressives qui sont vraiment très nocives pour les structures de la chaussée.

 

In ‘’La République’’

 

 

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