3è mandat en Côte d’Ivoire:  »Je prendrai ma décision en 2020 » (Alassane Ouattara)

Réformes économiques, refondation de l’armée, parti unifié, diplomatie… À deux ans de l’élection présidentielle, les sujets de préoccupation ne manquent pas pour le chef de l’État. Qui a accepté de se livrer à JA. Le chef de l’État ivoirien, Alassane Ouattara, est un homme rare en interview. Le dernier entretien qu’il a accordé à Jeune Afrique remonte à cinq ans, quasiment jour pour jour. Pourtant, les sujets de préoccupation ne manquent pas.

Après une année 2017 particulièrement délicate, marquée par deux mutineries au sein de l’armée, par des difficultés économiques liées à la baisse des cours du cacao et du café, mais aussi par de nombreuses grèves dans la fonction publique, la Côte d’Ivoire va mieux.

Mais déjà, tous les regards se tournent vers la présidentielle de 2020. La scène politique, fort logiquement, est en ébullition. Tout le monde s’interroge sur les potentiels candidats et sur la succession présumée de Ouattara. Ce dernier nous a reçus le 24 mai au palais du Plateau pour répondre à nos questions. À sa manière, déterminé, sûr de lui, mais prudent.

Jeune Afrique : L’année 2017 a été éprouvante pour la Côte d’Ivoire…

Alassane Dramane Ouattara : Oui, mais elle se porte beaucoup mieux aujourd’hui. En 2017, nous avons affronté des difficultés économiques liées à la baisse brutale des prix du cacao sur le marché mondial, les grèves des fonctionnaires, les mutineries dans l’armée… Tout cela est derrière nous.

Comment analysez-vous les mutineries de janvier et mai 2017 ?

Il y a eu de la manipulation dans cette affaire. L’important était de rétablir la discipline et l’autorité au sein de l’armée et d’éviter un bain de sang. Avec la loi de programmation militaire, nous nous sommes engagés sur la voie de la réforme, et les choses se déroulent correctement.

Où en est l’enquête sur la cache d’armes découverte à Bouaké en mai 2017 ?

Il y a eu des interpellations, les enquêtes se poursuivent. Le dossier est entre les mains de la justice, il n’est pas de mon ressort.

Pourquoi « Soul to Soul », le directeur du protocole de Guillaume Soro, chez qui les armes ont été trouvées, est-il toujours en prison ?

Quand on découvre six tonnes d’armes au domicile d’un individu, quel qu’il soit, il y a forcément des conséquences judiciaires.

Les tensions qui se sont ensuivies avec le président de l’Assemblée nationale se sont-elles apaisées ?

Guillaume Soro est un jeune frère. Il est membre du Rassemblement des républicains (RDR). Il ne saurait y avoir de tensions entre lui et moi.

Quel avenir politique lui voyez-vous ?

Cela relève de son seul choix.

Où en est le projet d’unification du RDR et du PDCI au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ?

Il est en bonne voie, même s’il y a eu quelques hésitations. Le débat qui a lieu aujourd’hui, en interne, est démocratique. L’un des six partis concernés a d’ailleurs décidé de ne ratifier ni l’accord politique ni les statuts du parti unifié. Mais quatre l’ont déjà fait, et le PDCI le fera certainement dans les prochaines semaines.

Henri Konan Bédié, le chef du PDCI, ne semblait pas très désireux de procéder à la fusion avant 2020…

C’est pourtant une décision que nous avons arrêtée depuis l’hôtel du Golf, en 2010.

Si ses réticences persistaient, seriez-vous disposé à vous passer de lui ?

Je ne crois pas que nous serons obligés d’en arriver là. Nous nous sommes fixé un délai pour créer le RHDP et ce sera fait, avec ceux qui le voudront bien.

Ce délai, c’est…

Maintenant. Et la tenue du congrès constitutif dans douze à dix-huit mois, comme le stipulent les statuts.

Pourquoi tenez-vous autant au parti unifié ?

Parce que l’objectif est de préserver l’œuvre du président Houphouët-Boigny et de consolider la paix et le développement de notre pays.

Pour désigner le candidat du RHDP, vous semblez favorable à une primaire où tout le monde pourrait concourir…

Oui, et c’est au parti unifié qu’il reviendra d’en fixer les modalités d’organisation, ce qui accroît encore l’urgence de sa mise en place.

Accepteriez-vous que des candidats du RHDP battus à la primaire se présentent néanmoins à la présidentielle en tant qu’indépendants ?

Il n’en est pas question. Ce serait antidémocratique.

Quel est, selon vous, le meilleur profil pour 2020 ?

La personne qui réussira à faire consensus, qui aura le plus de compétences et d’expérience. Le président Bédié et moi-même aurons notre mot à dire, mais ce sera un processus démocratique.

Pourriez-vous vous représenter ?

La nouvelle Constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020. Je ne prendrai ma décision définitive qu’à ce moment-là, en fonction de la situation de la Côte d’Ivoire. La stabilité et la

paix passent avant tout, y compris avant mes principes.
Et Bédié ?

Ce serait sa décision.

Depuis dix ans, en Afrique de l’Ouest, aucun candidat membre d’une coalition sortante n’a été élu – sauf au Togo. Cela semble traduire un certain désir d’alternance. Avez-vous intégré ce paramètre dans votre stratégie pour 2020 ?

Je considère que les Ivoiriens doivent choisir le prochain président dans la paix et sans violence, comme ils l’ont fait en 2015. Après mon élection, tous les autres candidats m’ont téléphoné pour me féliciter, et je souhaite qu’il en soit de même avec le vainqueur dans deux ans. La démocratie et la transparence sont mes seuls objectifs.

Quel bilan tirez-vous de vos sept années au pouvoir ?

Cela n’a pas été facile. Beaucoup de gens ont oublié l’état dans lequel se trouvait la Côte d’Ivoire quand je suis arrivé au pouvoir. Il s’est passé presque six mois entre l’élection et ma prise effective de fonctions. Beaucoup de temps a été perdu.

À l’époque, le pays était dans un état désastreux. Nous avons restauré la paix et la sécurité sur tout le territoire et assuré le redéploiement de l’administration partout en Côte d’Ivoire.

La démocratie est une réalité aujourd’hui. Les libertés des citoyens sont garanties par la nouvelle Constitution. J’avais à cœur d’améliorer le quotidien des Ivoiriens. Nous avons fait de ce point de vue des progrès impressionnants.

Par exemple, nous sommes passés à 80 % d’accès à l’électricité aujourd’hui. Fin 2019, toutes les localités de plus de 500 habitants seront électrifiées. Même chose en ce qui concerne l’eau potable : près de 85 % des Ivoiriens y ont accès, contre 60 % auparavant.

Au niveau de l’éducation, en cinq ans, nous avons ouvert davantage de classes qu’au cours des vingt années précédentes. Nous avons construit de nombreux hôpitaux et nous avons réhabilité plus d’une centaine de centres de santé à travers le pays.

Pareil au niveau des logements sociaux : plus de 10 000 seront livrés rien que cette année. Nous avons réalisé beaucoup d’infrastructures pour désenclaver des régions, faciliter le transport des biens et des personnes et la compétitivité économique du pays. Nous avons relancé notre compagnie nationale Air Côte d’Ivoire et ainsi de suite.

Diriez-vous que vos efforts ont payé ?

Notre taux de croissance moyen annuel a été de 9 % pendant cinq ans. En la matière, nous figurons parmi les trois ou quatre meilleurs en Afrique. Ce n’est pas rien !

Nos progrès ont été reconnus par la communauté internationale : FMI, Banque mondiale, Millenium Challenge Corporation, etc. La Côte d’Ivoire a pris son envol, et nous devrions bientôt rejoindre le rang des pays émergents.

Dès 2020 ?

Ce sera peut-être difficile pour 2020, mais je suis déterminé à améliorer le quotidien des Ivoiriens, à asseoir la paix et à renforcer la discipline et le civisme de mes concitoyens.

Le chantier le plus délicat n’est-il pas celui de la réconciliation ?

Je parle plus volontiers de cohésion nationale, parce que j’ai mis en place des structures destinées à la favoriser : la Commission dialogue, vérité et réconciliation, la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes ou encore le programme national de cohésion sociale…

Aujourd’hui des milliers de nos concitoyens qui étaient dans les pays limitrophes sont rentrés en Côte d’Ivoire. Beaucoup de ceux qui étaient des agents de l’État ont retrouvé leurs postes dans la fonction publique, dans l’armée, etc. Partout dans le pays, les populations vivent ensemble, dans la paix.

Mais au-delà, la clé du futur sera notre capacité à travailler ensemble. Le débat politique doit avoir lieu dans les instances et les institutions prévues à cet effet, en toute responsabilité.

Êtes-vous satisfait du gouvernement Amadou Gon Coulibaly ?

Amadou Gon est un excellent Premier ministre, compétent et très dynamique. C’est un ingénieur que j’ai eu l’occasion de former pendant presque vingt-cinq ans. C’est un homme d’autorité qui sait prendre des décisions difficiles et obtenir des résultats.

Serait-il le candidat idéal pour 2020 ?

Tant mieux si ça l’intéresse. Bonne chance à lui !

Vos détracteurs vous reprochent l’enrichissement rapide d’un certain nombre d’hommes d’affaires proches du RDR…

Dans les affaires, je ne fais pas de différence entre les Ivoiriens. Je souhaite que tout se passe dans la transparence, que tout le monde participe aux appels d’offres et recherche des financements. Si des Ivoiriens talentueux obtiennent des résultats, tant mieux. Je veux des champions nationaux. Je ne supporte pas que la majorité des affaires soient entre les mains de non-Ivoiriens.

Beaucoup réclament depuis longtemps une meilleure répartition des fruits de la croissance. Partagez-vous cette opinion ?

Mon souhait le plus ardent est que tous les Ivoiriens puissent bénéficier des fruits de la croissance. Par expérience, je sais que la croissance se manifeste au départ par l’amélioration de l’environnement : eau potable, électricité, assainissement, santé ou éducation, de sorte que tout le monde en profite ! C’est déjà ce que nous faisons.

Par la suite, ce qui importe, c’est le revenu par habitant. En six ou sept ans, nous avons augmenté la richesse nationale de près de 50 % et le revenu par habitant de plus d’un tiers, ce qui est considérable. Quand la situation économique l’a permis, nous avons fait des efforts de redistribution en augmentant les revenus des planteurs, qui ont, sauf l’année dernière, crû de manière très importante.

Pour les travailleurs du privé, le Smig a quasiment doublé. Les salaires des fonctionnaires ont été valorisés pour la première fois depuis un quart de siècle. Résultat : le taux de pauvreté s’est réduit.

Mais nous sommes conscients que des efforts restent à faire pour les plus vulnérables. C’est pourquoi l’aide aux plus défavorisés va constituer notre objectif prioritaire pour les deux ou trois années à venir. Nous allons cibler ceux qui ont besoin d’un soutien social immédiat afin de les sortir de la pauvreté et, surtout, de leur trouver un emploi, notamment pour les jeunes.

Sept ans après l’arrestation de Laurent Gbagbo, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer sa libération provisoire en attendant l’issue de son procès devant la Cour pénale internationale (CPI). Quelle est votre position ?

Le dossier est entre les mains de la CPI, qui fait son travail.

Simone, son épouse, a été condamnée à vingt ans de réclusion pour atteinte à la sûreté de l’État, mais blanchie de l’accusation de crime contre l’humanité. Pourriez-vous envisager de la gracier, en signe de réconciliation ?

Je ne me mêle pas des affaires de justice. Il faut attendre que le processus aille à son terme.

Vous aviez promis que tous les auteurs de crimes pendant la crise, y compris dans votre propre camp, seraient punis. Pourquoi n’est-ce toujours pas le cas ?

Pas punis, mais jugés. Les procédures sont en cours, mais on ne peut juger tout le monde en même temps. Après la Seconde Guerre mondiale, il a fallu trente ans pour juger certains accusés. Pourquoi veut-on que la Côte d’Ivoire le fasse en dix ans ?

Le Maroc a annoncé son intention d’intégrer la Cedeao, mais le dossier n’avance guère. Qu’est-ce qui bloque ?

La Commission de la Cedeao a été chargée d’étudier la question. Deux sommets en ont discuté. La Côte d’Ivoire est pour cette adhésion, parce que nous considérons qu’agrandir l’espace économique est bon pour la croissance.

Pourquoi la Cedeao ne pourrait-elle pas s’ouvrir à des pays comme le Maroc, la Mauritanie ou le Tchad ? Ce serait une bonne chose pour nous tous et en ligne avec la zone de libre-échange du continent africain. Mais il appartient désormais aux chefs d’État de la Cedeao de se prononcer.

Cela devait être le cas en décembre dernier, mais il y a manifestement eu des réticences…

Tout le monde n’a pas la même position, mais je vous répète que, pour ce qui nous concerne, nous sommes favorables à l’adhésion du Maroc.

Des tensions persistent au Togo. Étant impliqué dans la médiation, qu’avez-vous dit à Faure Gnassingbé ?

Les chefs d’État de la Cedeao lui ont dit, à l’occasion du sommet qui s’est tenu à Lomé en mars, que le Togo devait renforcer le processus démocratique en limitant à deux le nombre des mandats présidentiels – ce que le président a accepté – et en instaurant une élection à deux tours dans l’hypothèse où aucun candidat n’obtiendrait la majorité absolue au premier tour.

Il a également accepté d’autoriser les marches et manifestations dès lors qu’elles s’exercent sans violence. Tout cela devra faire l’objet d’un accord entre le pouvoir et l’opposition pour aboutir à des élections dont les résultats seront reconnus par tous.

Des élections auxquelles il pourrait participer ?

Cela dépend des Togolais eux-mêmes. Nous n’avons pas à leur imposer quoi que ce soit. Il faut que le président Faure et ses concitoyens décident de ce qui est bon pour le Togo.

Êtes-vous optimiste ?

Oui. La Cedeao prendra une décision lors de son prochain sommet en juillet, à Lomé.

Le cas Blaise Compaoré ne complique-t-il pas vos relations avec le Burkina, qui exige son extradition ?

Pas du tout. Blaise est mon ami depuis des décennies. Il réside en Côte d’Ivoire, son épouse est ivoirienne. Sa présence ici n’est pas un problème pour nos deux pays, qui ont des liens anciens et très étroits.

Selon un juge d’instruction burkinabè, votre chef d’état-major aurait fourni des moyens matériels aux putschistes, en 2015…

C’est inexact.

Emmanuel Macron est arrivé à l’Élysée il y a un an. Comment jugez-vous sa politique africaine ?

Je ne peux parler que de ses relations avec la Côte d’Ivoire, qui sont excellentes. Depuis son élection, nous nous sommes rencontrés à trois reprises. Nous avons abordé des questions de fond, réglé des dossiers importants et noué des relations de confiance.

C’est un président dynamique, qui est en train de faire des réformes indispensables pour la France. La France est notre partenaire privilégié. Si elle va bien, c’est une bonne chose pour la Côte d’Ivoire.

Comprenez-vous la vigueur du débat concernant la réforme du franc CFA ?

Je peux comprendre qu’une partie de l’opinion, qui peut-être intoxiquée par des gens qui ne comprennent même pas son fonctionnement, demande à être mieux informée. C’est ce que le gouverneur de la Banque centrale et ses collaborateurs ont commencé à faire.

Le franc CFA est une monnaie solide, adaptée aux besoins des pays qui l’utilisent. Sinon, ils y auraient renoncé depuis longtemps. Maintenant, des réformes s’imposent, auxquelles nous sommes en train de réfléchir sereinement.

Comment voyez-vous votre vie après le pouvoir ?

J’ai eu une vie avant le pouvoir et j’en aurai une après, mais je serai toujours disponible pour mon pays, toujours prêt à aider mes successeurs si besoin. Je m’intéresse aussi au partage des idées, aux réflexions en relation avec ma vision de l’Afrique et du monde.

La question qui fâche. Henri Konan Bédié prétend que vous lui avez promis l’alternance – c’est-à-dire une candidature unique du PDCI en 2020. Est-ce exact ?

Nous nous sommes expliqués. Je ne lui ai jamais rien promis. Et je lui ai rappelé ma position, qui n’a jamais varié : le moment venu, nous choisirons le candidat le plus apte et le plus compétent, quel que soit son parti d’origine, pour représenter le RHPD.

 

In JA

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